Nous sommes dans une nouvelle ère géologique : l’Anthropocène. Elle se caractérise par la domination des humains partout sur Terre, lesquels influencent la biosphère et engendrent la 6e extinction massive des espèces. Se basant sur 16 704 populations animales, le Fonds mondial pour la nature constate une baisse de 60% des vertébrés sauvages entre 1970 et 2014 [1]. Pas surprenant. Avec une population actuelle de 7,6 milliards d’humains (9,9 milliards d’ici 2050 [2]), tous ces individus occupent beaucoup d’espace, consomment énormément de ressources et produisent toujours plus de pollution. À cette population, il faudrait toutefois ajouter les animaux élevés par les humains. En 2016, ce sont 70 milliards d’animaux qui furent abattus, et selon la FAO, la production de viande devrait augmenter de 73% d’ici 2050 [3].
Déforestation
Lorsqu’on s’attarde à la masse de tous les mammifères sur Terre, 36% sont des humains, 60% des animaux d’élevage et le reste (4%) sont les mammifères sauvages (chevreuils, ours, éléphants, zèbres, rats, etc.) [4]. C’est donc 96% de la biomasse des mammifères qui se compose des humains et de leur bétail. Ceux-ci occupent sans cesse plus d’espace au détriment de la faune et la flore sauvage. On empiète ainsi sur les zones humides, les savanes et les forêts. 91% de la surface détruite de la forêt amazonienne sert aux pâturages ou à produire du soya pour nourrir le bétail à travers le monde [5]. La déforestation se produit aussi au Canada et l’agriculture est un des principaux facteurs. En 2016, 36 985 ha furent déboisés, dont 33% à des fins agricoles (12 280 ha) [6]. Les consommateurs de produits de soya ne sont toutefois pas les responsables. En effet, de toute la production mondiale de soya, seulement 6% est destinée à l’alimentation humaine ; 75% sert à nourrir les animaux et le reste sert à d’autres utilisations, dont le biodiesel [7].
Gaspillage des ressources
Une alimentation à base de produits animaux requiert en moyenne 4,5 fois plus de superficies agricoles qu’une alimentation à base de végétaux [8]. À l’échelle mondiale, plus de 80% des terres agricoles sont utilisées pour le bétail, alors qu’il fournit seulement 18% des calories et 37% des protéines [9]. Ce gaspillage des ressources est particulièrement grave chez les bovins où 13 livres de grains n’apportent qu’une livre de viande [10]. Situation similaire avec l’eau. Il faut 15 000 litres d’eau pour produire un kilo de bœuf, contre 1 800 litres pour un kilo de soya. Si on se préoccupe d’économiser l’eau, mieux vaut choisir le lait de soya, car son empreinte en eau est le quart de celui du lait de vache. Pour un burger de soya, c’est moins du dixième par rapport à un burger de bœuf [11].
Avec tous ces animaux s’accompagnent des millions de tonnes d’excréments. Par exemple, une vache laitière produit 136 lbs (62 kg) de fumier par jour [12], l’équivalent de 20-40 personnes. Une telle quantité favorise la pollution de l’eau, les cyanobactéries (algues bleues), l’eutrophisation des cours d’eau (manque d’oxygène) et les risques de contamination aux salmonelles et E. Coli. Autre enjeu : 78% des antibiotiques sont prescrits à des animaux d’élevage [13]. Utilisée en « prévention », cette pratique favorise une croissance plus rapide des animaux, mais aussi l’émergence de bactéries résistantes. Enfin, la majorité de leur nourriture provient de monocultures d’organismes génétiquement modifiés (canola, maïs-grain, soya), lesquelles sont arrosée de pesticides.
Gaz à effet de serre (GES)
Les GES associés à l’agriculture sont comptabilisés dans le groupe AFOLU (Agriculture, forêt et autres utilisations des terres). Mondialement, l’élevage compte pour 60% de l’AFOLU, ce qui représente environ 15% des émissions totales. C’est plus que les transports (14%) [14]. Cependant, les valeurs attribuées à l’élevage incluent uniquement les émissions directes des animaux (éructations et flatulences) et celles liées à la fertilisation (fumiers et engrais). L’impact de l’élevage est donc sous-estimé puisque la machinerie agricole (tracteurs, moissonneuses), l’énergie (chauffage et séchage), le transport des intrants (engrais, fumier, animaux, nourriture pour animaux) et le transport des extrants (récoltes, fumier, animaux vers l’abattoir) sont attribués à d’autres secteurs.
Une autre sous-estimation majeure concerne l’équivalence en carbone (CO2) du méthane (CH4). Alors que la durée de vie du méthane dans l’atmosphère est d’environ 12,4 ans, les décideurs internationaux ont choisi d’évaluer le méthane sur un horizon de 100 ans. Conséquence : une tonne de CH4 s’évalue depuis plusieurs années à seulement 25 tonnes de CO2. Mais face au défi climatique et à l’urgence d’agir, il fait beaucoup plus sens de considérer le méthane sur 20 ans. Dans cette optique, une tonne de méthane aurait un effet équivalent à 86 tonnes de CO2 selon les études récentes [15]. De quoi remettre en question la priorité de nos actions.
Pour lutter contre les émissions agricoles de GES, l’ONU parle de mitigation. Dans l’élevage, ces avenues restent toutefois fort limitées. On parle d’un gain de réduction de 10% sur la fermentation entérique en changeant l’alimentation des animaux et en ajoutant des additifs alimentaires pour faciliter la digestion [16]. On parle aussi d’un maximum de 10% d’amélioration pour la gestion du fumier (fosse couverte, agiter/retourner le fumier). Évidemment, l’augmentation prévue du nombre d’animaux d’élevage ne fera qu’annuler ces gains.
Au Québec, avec 346 000 vaches laitières (37% de la production canadienne), l’industrie laitière est particulièrement dommageable pour l’environnement. Chaque vache émet 158,7 kg de méthane/an [17], soit plus de 55 000 tonnes par année pour la province. À titre comparatif, chaque vache émet l’équivalent de 13,6 tonnes de CO2/an (éq. 86), soit parcourir 65 000 km en voiture.
Manger local ?
L’alimentation locale est très populaire, et avec raison. Toutefois, le transport compte bien peu dans la balance. Entre manger des produits animaux locaux ou importés, la différence en minime en termes de GES (moins de 10%) [18].
C’est la production des animaux qui émet le plus de gaz. Si on veut véritablement réduire nos émissions, il faut plutôt manger des végétaux (locaux ou importés), car leur production émet très peu de GES en comparaison aux produits animaux. D’ailleurs, les petits élevages bucoliques émettent 3 à 4 fois plus de GES que les élevages intensifs [19]. Cela s’explique par les animaux qui vivent à l’extérieur, bougent davantage et vivent souvent plus longtemps. Ainsi, ils ont besoin de plus d’espace et ils mangent davantage. Sans oublier qu’au Québec, une grande superficie de culture doit être consacrée à produire de la nourriture pour passer l’hiver.
Autres animaux
Se tourner vers les pêcheries pour consommer de la viande n’est pas réaliste. Déjà 80% des stocks globaux de poissons sont déjà complètement exploités, surexploités, épuisés ou au bord de l’effondrement [20]. Le chalutage avec ses filets de plusieurs kilomètres de long est particulièrement dommageable pour l’écosystème en récoltant tout sur son passage. 20% des animaux capturés en pêches commerciales sont des prises secondaires ou des animaux non-voulus. Et si on se préoccupe des déchets plastiques dans les océans (par ex. les pailles), mieux vaut cesser de consommer des poissons, car 46% du plastique dans les océans vient des filets de pêche abandonnés [21].
L’aquaculture n’est évidemment pas une solution. Ces fermes entassent des milliers des poissons dans de grands filets en pleine mer. Maladies et parasites pullulent et amènent l’industrie à utiliser quantité de médicaments. Des pesticides et autres produits toxiques sont aussi utilisés pour contrôler des prédateurs. Plusieurs des poissons d’élevage sont carnivores et donc nourris avec du poisson pêché en mer. On y élève souvent des espèces non indigènes qui parfois réussissent à s’évader, menaçant ainsi les espèces indigènes. Des tonnes d’excréments s’accumulent sous ces élevages.
Les insectes ne sont pas non plus la panacée. Pour une bonne production d’insectes, il faut leur donner de la nourriture de qualité (pas juste des résidus). Ainsi, l’élevage de grillons n’est pas plus efficace que l’élevage de volailles pour la conversion des protéines, avec un ratio d’environ 2 pour 1. Même si c’est plus efficace que le bœuf, manger directement des végétaux reste la meilleure option. Il faut aussi mettre un bémol à la multiplication des ruches. Les abeilles à miel ne sont pas indigènes en Amérique et menacent les populations de pollinisateurs indigènes (ex. bourdons) [22].
Conclusion
D’un point de vue environnemental, on ne peut espérer lutter contre les changements climatiques et la 6e extinction sans une diminution drastique du nombre d’animaux d’élevage. Bien entendu, cela va de pair avec la nécessité de changer les habitudes alimentaires afin de réduire, ou d’éliminer, les produits animaux.
Du côté agricole, cela implique une transition vers un modèle qui n’utilise pas d’animaux d’élevage ni leurs sous-produits (fumier, farine de sang, etc.). Nous devons commencer dès maintenant à orienter l’agriculture vers la production biologique de végétaux pour consommation humaine : légumineuses, céréales, fruits, légumes, noix, graines, champignons, fines herbes, plantes médicinales, arbres (érables, bouleau). Il faut aussi revoir les systèmes de culture et l’aménagement des fermes pour favoriser la biodiversité et la protection des sols. Pensons aux engrais verts, compost, travail réduit du sol, bandes riveraines, haies brise-vent, etc. S’ajoute aussi l’agriculture urbaine qui devrait être généralisée (toits, balcons, devant et derrière les habitations, terrains vagues, parcs…).
Du côté des habitudes alimentaires, il faut se tourner vers les alternatives végétales et apprivoiser les légumineuses. De nombreuses ressources sont désormais disponibles pour faciliter cette transition. L’initiative Défi Végane 21 jours est gratuite et connaît beaucoup de succès. Les librairies et les bibliothèques publiques regorgent de livres de recettes. La Cuisine de Jean-Philippe
(blogue et livre) est parmi les plus populaires. L’application Dr Greger Daily Dozen (pour téléphone Android et iOS) est recommandée pour viser une alimentation optimale au quotidien. En plus d’aider la planète, une alimentation végétale aide à prévenir plusieurs maladies chroniques (diabète, maladies cardiaques et cancer) et peut même en renverser certaines [23].
D’un point de vue éthique, les produits animaux occasionnent beaucoup de souffrance en raison des conditions d’élevage inacceptables. La grande majorité des animaux sont traités de manière mécanique sans égard à leurs besoins fondamentaux ou à leur capacité de souffrir. Des pratiques comme l’ablation de la queue des cochons, le débecquage des poussins et la castration des mâles infligent de grandes souffrances. Sans oublier que la majorité d’entre eux sont entassés dans des enclos intérieurs jusqu’au jour où ils vont se faire abattre.
Manger est un geste que tout le monde fait plusieurs fois par jour. Manger des végétaux est facile, économique et accessible à tous. En plus d’aider l’environnement, notre santé et les animaux, ce geste envoie un message clair à l’industrie et aux gouvernements. Tous ensemble, nous pouvons faire une différence. Parlons-en !
Pour approfondir
- Liste exhaustive de documentaires disponibles (Cowspiracy, Un repas Végé, La face cachée de la viande)
- Des recettes sans produits animaux
[1] Rapport Planète Vivante 2018, Fonds mondial pour la nature, www.wwf.fr
[2] Population Reference Bureau, www.prb.org/2018-world-population-data-sheet-with-focus-on-changing-age-structures
[3] Lutter contre le changement climatique grâce à l’élevage, FAO, 2014.
[4] The Guardian, Damian Carrington, « Humans just 0.01% of all life but have destroyed 83% of wild mammals – study », www.theguardian.com/environment/2018/may/21/human-race-just-001-of-all-life-but-has-destroyed-over-80-of-wild-mammals-study
[5] Élevage et climat - Comprendre le problème, évaluer les solutions, AVF, 2015.
[6] Indicateur : Boisement et déboisement, www.rncan.gc.ca/forets/rapport/zone-forestiere/16547 (consulté le 29 oct. 2018)
[7] The Growth of Soy - Impacts and Solutions, WWF, 2014
[8] Geophysics and nutritional science : toward a novel, unified paradigm, Eshel & Martin, 2009.
[9] The Guardian, Damian Carrington, « Avoiding meat and dairy is ‘single biggest way’ to reduce your impact on Earth », 31 mai 2018, www.theguardian.com/environment/2018/may/31/avoiding-meat-and-dairy-is-single-biggest-way-to-reduce-your-impact-on-earth
[10] Cool farming, Greenpeace, 2008
[11] The water footprint of soy milk and soy burger and equivalent animal products. A.Ertug. Ecological Indicators, 2011
[12] EnviroStats, Profil géographique de la production de fumier de bétail au Canada 2006, Hiver 2008, Vol 2, No 4, p. 14.
[13] Bernard Lavallée, nutritionnisteurbain.ca/actualite/antibiotiques-dans-lelevage-des-animaux-cest-quoi-le-probleme
[14] Rapport du GIEC, 2014
[15] Anthropogenic and Natural Radiative Forcing, www.climatechange2013.org/images/report/WG1AR5_Chapter08_FINAL.pdf
[16] Cat decarbonisation series, What’s on the table ? Mitigating agricultural emissions while achieving food security, 2018, climateactiontracker.org
[17] Revised methane emissions factors and spatially distributed annual carbon fluxes for global livestock, 2017, www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5620025/#CR39
[18] Meat Eaters Guide to Climate Change + Health, Environmental Working Group, 2011, www.ewg.org
[19] Nijdam et al., The price of protein : Review of land use and carbon footprints from life cycle assessments of animal food products and their substitutes, Food Policy, 2012
[20] WOW ! Survey Finds 46% of Ocean Plastic Is Made of Discarded Fishing Nets, www.onegreenplanet.org/news/ocean-plastic-made-discarded-fishing-nets
[21] Ibid.
[22] Abeille domestique et abeilles sauvages – malentendus et rapports contentieux, wildpollinators-pollinisateurssauvages.ca/fr/2018/02/09/abeille-domestique-et-abeilles-sauvages
[23] L’association des professionnels de la santé pour l’alimentation végétale (APSAV), apsav.org
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